Le Maître des Falaises
Avec Jean-Max Touron
Il veille sur ce qui a veillé sur les hommes…
Propriétaire de 13 sites touristiques en Périgord et ailleurs, il est avant tout le gardien de refuges millénaires au pays de la Préhistoire
By Marie Calonne
Sequins d'Automne
En ce mercredi tout neuf de cette fin d’automne, on s’attend à une lumière grisée, du crachin, mais ce matin… c’est un ciel pétillant qui foule les crêtes dorées du Périgord Noir.
Les yeuses se parent de leurs belles robes satinées aux mille et uns sequins couleur bronze doré. À chaque souffle de l’atmosphère, ils se révèleront bientôt être une coloration éphémère, ces paillettes organiques se détachent comme des flocons d’or tourbillonnant dans un envol pour finalement se déposer délicatement sur le sol. Et la robe des arbres se prolonge en une longue traîne qui borde chacun de nos chemins virevoltants, en Périgord.
Nous sommes dans le giron d’un mois de fin d’année bien entamé, et pourtant, la lumière est claire ce matin, et pourtant oui, nous sommes bien en novembre ce matin…
Face à ce spectacle qui nous parsème de feuilles délavées sans chlorophylle, notre invité, Jean-Max Touron lâchera plus tard, songeur:
"Est-ce que vous avez déjà assisté à des pluies de feuilles qui tombent d'un seul coup d'un noyer?"
Continuant sur les routes qui valsent, en descendant des crêtes vers la “Vallée de l’Homme“, on comprend vite que la portion de Vézère qui sillonne le “Berceau de Préhistoire” fait la grasse matinée très au frais. Lovée entre un mille-feuille mélangé de draps aussi vaporeux qu’humides, on ne l’aperçoit presque pas. Dans son sommeil blanc, la rivière cache ses rives et paysages proches, emmitouflés entre ses voiles encore épais fuyant le bleu du ciel.
10 heures.
La Roque Saint Christophe sise à Peyzac-le-Moustier, se dresse de ses 80 mètres de haut entre ciel et rive gauche de la rivière, transitant dans la brume matinale.
Derrière les portes en verres automatiques de l’entrée, nous accueillent la bonne humeur très joueuse d’une jeune bouledogue française bien au chaud, dont on devine de par son collier, une ” diamond best dog’s friend”: Jasmine, est d’un poil aussi noir que l’origine de son prénom de couleur blanche.
Sur ses talons nous reçoit Marie-Luce Touron qui gère La Roque Saint Christophe, pour nous inviter à rejoindre son père à l’étage. Si les débuts du site sont passés de père en fils, elle semble avec ses filles avoir la mission de rompre la lignée masculine de cet héritage familial en illustrant l’expression ancienne “passer de lance en quenouille”. Soit une lignée masculine qui passe en lignée féminine.
Jean-Max Touron, la mèche sur le front nous arbore en jeans, pull-over et tennis blanches, affiche un look moderne couleur bleu denim et marine à l’allure décontracté chic. Derrière cette sobriété en apparence, monsieur Touron se définira plus tard comme étant une personnalité éclectique. Il ne faut pas longtemps pour déceler en lui un fin observateur à l’expérience bien enracinée et assaisonné du sens et de la sensibilité du détail
Les Origines...
Cet enfant de la Vallée Vézère est né dans un village fluvial stratégiquement placé à une distance équidistante de Sarlat, Bergerac et Périgueux, il est la “porte sud” de la Vézère: Le Bugue.
PNDM: Quelles sont vos origines?
JMT: Eh bien, mes origines, les origines de la famille Touron, sont de Peyzac-le-Moustier, plus exactement Peyzac. Ensuite mon grand-père est venu s’installer au Bugue, mon père est né au Bugue, moi je suis né au Bugue…
Échangeant des mémoires du Bugue, soudain une anecdote fait surface…
PNDM: Il y a une sacrée anecdote du côté du Rocher de La Granelle, ça devait se passer dans les années ’50 – ’60, au petit matin, un paysan se lève et voit entre la brume… une fusée!!!
JMT: Ah mais je la connais bien cette histoire, c’est mon père qui a mis la fusée… Figurez-vous qu’ils avaient fait une fusée pour les fêtes de la Saint Louis, et cette fusée en papier chocolat, elle a été par la suite stockée dans une grange. Des années sont passées, on a oublié la fusée… Puis il y a eu une époque où l’on voyait des extraterrestres partout… Et ils ont eu l’idée d’attraper la fusée et de la mettre plus haut que le Rocher de la Granelle, sur le grand coteau pelé qu’il y a au-dessus pendant la nuit. Le lendemain tout le monde a vu “une fusée extraterrestre” posée au Bugue…
Si le passé médiéval et abbatial de la petite ville est effacé sous les modernités du XIXème siècle, cet ancien carrefour commercial déploie une belle devise que notre Buguois applique peut-être sans le savoir:
“Albuca Vallis Custos”.
“Le Bugue Veille sur la Vallée”.
Et Jean-Max Touron veille sur ce qui a veillé sur les hommes… Est-ce que petit garçon il ambitionnait ce futur-là? Non. Il envisageait juste de suivre les pas de son père . Et certainement de tenir ses promesses…
Ce Buguois empreint d’expérience évoque teinté d’un air nostalgique au regard lointain:
...lorsque que j’étais petit garçon, j’ai suivi la voie de mes parents, je savais que j’allais faire le métier de mon père, donc le meuble, et je l’ai fait pendant de nombreuses années.
Ensuite, mon père et moi, nous nous sommes lancé dans le tourisme. Finit-il le sourire aux lèvres.
Tout a commencé à Peyzac-le-Moustier. Son grand-père était le propriétaire de la la Roque Saint Christophe, qui, à l’époque, n’est autre qu’une falaise colonisée par la végétation sur laquelle se baladaient quelques amoureux laissant le témoignage de leur amour se graver sur le roc, de quelques curieux sans oublier le célèbre écrivain local Eugène Leroy qui s’y laissa photographier en bonne compagnie au tout début du XXème siècle.
Aujourd’hui, le petit-fils du propriétaire de cette falaise a su multiplier ses chances, comme choisi par sa terre natale pour en être son digne chevalier et ambassadeur, il est propriétaire de 10 sites ouverts au public en Dordogne, Lot et en Vienne, sans oublier d’autres sites symboliques à titre de propriétés privées étreignant toujours la Vézère.
Il veille sur la terre de son enfance, de ses ancêtres; cet élément minéral qui s’est moulé à notre échelle de par ces abris sous roche, grottes qui ont permis à “l’Homme” d’y séjourner et de s’y réfugier de façon continue depuis au moins 400.000 ans, soit-il nomade, semi-nomade ou sédentaire, comme d’y façonner des habitats (semi)troglodytiques.
Ces falaises aux pieds baignés dans la rivière ont veillé sur les hommes et femmes de toutes époques, ces roches dans lesquelles ils y ont déposé leur vie et donc leur postérité.
Quand personne n’y pensait, le regard visionnaire de Jean-Max Touron remarque le potentiel de ces cités oubliées et est à l’initiative d’années d’aménagement, de mise en scène de ces pierres métamorphosées en sites touristiques, soutenant la valorisation géologique, anthropique et préhistorique qu’ils méritent.
Dans ses souvenirs des débuts touristiques de la Roque Saint Christophe vers les années ’70, il commente:
…lorsque l’on a ouvert la Roque Saint Christophe au public, on ouvrait que quelques jours à Pâques, ensuite ou rouvrait vers le 14 juillet et on fermait le 15 septembre. Maintenant c’est devenu une activité à l’année et dans la Vallée de la Vézère il y a du monde toute l’année maintenant. Bon, on ne fait pas de miracles en hiver mais il y a du monde tout le temps.
Bien que pour lui, les gens viennent très peu pour la préhistoire: seulement 10%.
Cet employeur de plus de 45 salariés comprenant l’investissement de sa propre vie a été décoré Chevalier de l’Ordre National du Mérite en septembre 2016.
Notre homme d’affaire rappellera aussi que:
Pour amener du public, déjà il faut un intérêt, deuxièmement il faut de la sécurité, alors c’est pas toujours beau la sécurité, mais il faut que les gens qui arrivent puissent en ressortir entiers… Et puis l’attractivité, essayer de faire quelque chose d’intéressant, quelque chose que n’ont pas fait les autres.
Sachant que tout ce que je fait on le copie; eh oui, on y peut rien, il y a les copieurs…
Les Sites Touron
Au bureau, en attendant que la brume matinale finisse de se lever, Jean-Max en profite pour montrer depuis sa tablette les images d’autres trésors minéraux dont il est propriétaire et qui ne sont pas ouverts au public.
Ces propriétés se chevauchent, depuis l’impressionnante Falaise de Guilhem – entre les Eyzies et Campagne – qui épie au-delà de la Vézère le fort troglodytique du Pech Saint Sourd bienveillant sur la “Vallée de Chevaux” et voisin de la Grotte du Sorcier, classée à l’Unesco.
…On l’appelle le “Rocher qui Pleure” , regardez bien: les deux yeux (ouvertures), le nez, la bouche c’est un larmier, et regardez la larme… raconte Jean Max Touron se référant au fort de Pech Saint Sourd. On dirait une tête féline, conclut-il
Moi, ce que je dis, rajoute-t-il, c’est qu’en Dordogne et notamment en Vallée Vézère, on a des châteaux d’avant les châteaux, c’est-à-dire que nous ici, on vivait dans du minéral, grotte fortifiée et après aménagées, avant même qu’on aie eu l’idée de bâtir avec des pierres…
Dans la “Capitale de la Préhistoire“, notre chevalier local réveilla du regard l’abri peut-être le plus célèbre au monde, le sortant d’un sommeil végétatif: l’Abri de Cro-Magnon acquis en 2012, qui a baptisé notre espèce du surnom éponyme au XIXème siècle. Jean-Max a su s’entourer des meilleurs pour assurer sa valorisation et médiation culturelle en l’ouvrant au public enrichi d’une muséographie pédagogique très soignée.
Jean-Max Touron bouillonne d’idées évènementielles pour 2018, une année qui fêtera le 150ème anniversaire de la découverte des 5 squelettes fossiles (1868) et surtout redorer le blason Cro-Magnon en lui redonnant toute l’importance qu’il mérite.
…Quel est le Périgourdin le plus célèbre au monde? Cro-Magnon!!! S’amuse-t-il à affirmer
Ses projets pour célébrer la découverte inattendue promet de tendre la main au futur bien au-delà de l’année prochaine… Juste parce que “Tout le Bonheur du Monde est dans l’Inattendu” comme dirait Jean d’Ormesson. Alors, tenez-vous prêts à voir briller le nom de CRO-MAGNON, car si vous êtes européen(ne), vous êtes pour sûr un périgourdin!
Rendez-vous dans 150 ans, en 2168!
Mais notre homme est également le propriétaire de lieux où fut découvert de l’art mobilier aux courbes très arrondies, ces dames de l’âge de l’ancienne pierre: Les Vénus.
La Vénus de Sireuil fut découverte dans le vallon du Roc de Cazelle et la Vénus de Tursac à l’Abri du Facteur par le préhistorien Henri Delporte, non ouvert au public.
Revenant aux Eyzies, sur la route des Gorges de l’Enfer, autrefois vous accueillait , “l’Auberge du Paradis”, une auberge troglodyte ouverte par le libérateur du diable du Gouffre de Proumeyssac, le puisatier Galou, qui y accueilli le très célèbre avocat-spéléologue Édouard-Alfred Martel connu comme l’inventeur de la rivière souterraine du Gouffre de Padirac dans le Lot.
Le feedback de son séjour est relaté par Bernard Henriette: “Par une belle nuit de mai dernier, j’ai passé chez Monsieur Galou en son Auberge du Paradis une nuit que je n’oublierai guère, dans la rudimentaire mais peu banale chambre à coucher, rétablie à l’orifice même d’une source tarie (…) Quelques heures de rêverie au Fort de Tayac demeurent une ineffaçable sensation“.
Notre invité nous plonge dans son monde, il nous raconte des récits sur ce que lui a livré les “mémoires” de ces pierres depuis la préhistoire jusqu’à la Renaissance, évoquant le Roc aux Sorciers ou La Forteresse d’Angles en Vienne; le Prehisto Dino Parc dans le Lot qui semble lui faire un petit plein de racines; côté Renaissance et bourgeoisie vous attend l’hotel particulier au coeur de Sarlat, le Manoir de Gisson mais si vous préférez le monde des troglodytes, la Maison Forte de Reignac mêlera Renaissance, Préhistoire et une terrible salle de torture telles les méthodes du Moyen-Âge…
"... le brouillard renvoie la lumière à la Roque, sinon ce serait tout noir..."
Tandis que tout ces lieux et autres se matérialisent dans les mots, son oreille attentive décèle le son d’un hélicoptère:
…S’il y a un hélico c’est qu’il y plus de brouillard… sinon on y va pas, sinon on se casse la gueule, direct, confirme t-il en pilote avéré.
Il a raison, le brouillard matinal s’évapore.
Jean- Max n’hésite pas une seconde à se retrousser les manches pour prêter main forte de sa propre initiative et porter une partie du matériel de tournage. Nous dirigeant vers les extérieurs de la Roque Saint Christophe suivant le parcours pédagogique il observe les éléments naturels autour de lui et précise:
“… le brouillard renvoie la lumière à la Roque, sinon ce serait tout noir…”
Son visage se prêtant parfaitement aux objectifs de caméra ou d’appareil photos, il révèle qu’il y a en gestation d’autres sites prêts à l’ouverture, pleins de racines, sans pour autant vendre la peau de l’ours, car “les projets c’est secrets” dira-t-il toujours photogénique.
Il est facile d’imaginer ce fils d’ébéniste-antiquaire en jeune garçon crapahutant bois et coteaux à la conquête de cluzeaux, grottes et falaises aménagées pour finir par acquérir son jardin d’enfance à en devenir un digne chevalier choisi par sa terre minérale: la”Vallée de l’Homme”.
Elle fait partie du réseau Grands Sites de France, le calcaire de cette vallée encaissée peut atteindre des hauteurs de 100 mètres, témoignage d’un passé âgé de millions d’années, car ce calcaire, roche sédentaire par définition, est un amas calcifié de millions de déchets organiques tels des coquillages, arrêtes de poissons, coraux, sables d’un océan chaud qui déguerpira avec l’arrivée de la chaîne pyrénéenne entre autres traumatismes géologiques. Partie intégrante du bassin aquitain, c’est en quelque sorte un cimetière océanique.
PNDM: Quel est votre coin de paradis?
JMT: Tursac et le Moustier.
PNDM: Quel est votre plat local préféré?
JMT: La mique et le petit salé
Notre invité porte le nom, quelque peu oublié, qui nous rappelle le goût des fêtes d’hiver comme le “turrón” espagnol (nougat dur), en réalité, dans ces mémoires de langue occitane surnommée par ici “patois”, “Touron” évoque plutôt une fontaine, nombreux sont les toponymes dans le coin.
Et de source en rivière jusqu’à l’océan, sa démarche démontre combien la volonté et l’engagement dans le partage de ce qu’on aime est le meilleur diplôme pour réussir, n’en déplaisent aux plus académiques, car bien des pionniers de différentes disciplines l’ont déjà démontré.
PNDM: Compte tenu que vous êtes chevalier de l’Ordre National du Mérite, il y a t-il beaucoup de princesses à sauver dans ce pays de châteaux?
JMT: Ah, mais oui! Oui, oui je suis très sollicité même…. (rires)
Suivez Votre Bonne Étoile!
Véritable passionnée du Périgord, Quercy et villages rayonnants, guide-conférencière, Marie guidera votre groupe ou en excursion privative, histoire d’ouvrir ces “Albums de Pierres” qui gardent presque secrètement des châteaux féeriques, une nature exubérante et une ruée vers les trésors de la Préhistoire!
Vous prenez vite conscience de fouler un véritable sanctuaire, gardien de nos mémoires collectives!
Guide Conférencière trilingue (FR-ES-GB) en France, elle a aussi vécu en Belgique et à Tenerife.